J’avais 6 ans, la télévision en n&b diffusait les aventures de « Sébastien et La Marie Morgane ».
J’ai compris bien plus tard que la « Marie Morgane » était une appellation de la Sirène dans les contes et légendes de Bretagne et pas seulement le patronyme du bateau.
L’enfance a encore pour moi des malles aux trésors.
Je connais par cœur la chanson, vous aussi peut-être…
Pour les autres, l’ultime strophe, écrite par Cécile Aubry :
…/…
Pourtant, si j'étais marin / Peut-être qu'un beau matin / D'un coup de chalut / Comme on n'en fait plus / Je pêcherais la sirène euuuuu /La sirène aux looooongs cheveux.
La prochaine fois je vous la chanterai.
Voilà mon premier souvenir de sirène (que l’on ne voit pas dans le film, il me semble)
Après il y a Ulysse et ses monstres ailés, leur chant aussi alerte que séduisant.
Du coup je ne sais plus si il faut les pêcher ou s’en méfier.
Il y a aussi le Cdt Cousteau et La Calypso à la découverte des Lamantins dont les formes blanches et généreuses ne sont pas pour rien dans l’invention du mythe.
Mais mon intuition graphique est vraiment plus récente:
Une amie se baigne pendant une fête en rade de Brest, dans une crique inaccessible. Du haut de la falaise je la photographie-souvenir. Elle est toute blanche dans le clapot : « Mais Maria !…tu es toute nue ! ! ? Oui mon Cherrriiii ! ! ! ! Elle me la joue star des années 50 (Roma, tout ça, tout ça…). Soudain, entre 2 eaux ses jambes semblent ne faire qu’une queue.
Voilà ! J’ai vu UNE SIRENE !
Mais je suis trop loin, c’est trop furtif, et malgré sa bonne grâce, impossible de recréer l’illusion. Les crampes dans l’eau froide auront raison de ses poses.
Je me détourne, la laisse sortir de son bain, remettant à plus tard « une Vénus sortant de l’eau ».
Mais j’ai vu quelque chose de fantastique. J’ai vu un mythe.
Je m’ingénierai pendant une, deux puis trois saisons à traquer le vrai-semblant dans ces eaux fraîches et discrètes.
Pour évoquer ce mythe, pour générer des visions, pas question de rajouter par ordinateurs des queues de poissons aussi parfaites qu’incongrues.
Mes procédés seront ceux de la photographie de toujours avec les techniques du labo N&B : on assombrit ici, on éclaircit là. L’art de l’illusion photographique :
Le côté enfantin des « trucs » à la Méliès, jeu de perspectives et de retournement.
Et bien sûr l’invention, la recherche de nouveaux subterfuges graphiques sans horizons artificiels.
La quête entêtée : Rechercher la belle épave, la crique secrète, la bonne marée, la bonne lumière, le bon angle de prise.
L’observation : voir le cadeau que nous fait la Nature : la lumière exceptionnelle de fin du monde, l’apparition de la lune, le vent qui prend forme ou la vague qui fait sens. « La Nature est un temple/…/L’Homme y passe à travers des forêts de symboles/ Qui l’observent avec des regards familiers » écrivait Baudelaire. Elle nous entourait.
Et la licence du conte poétique, du « On dirait que… »... Car vous voyez bien que les écailles c’est une couverture de survie. Ha ? Comment ? Vous ne le saviez pas ?
Mes modèles farouches ou timides, je devais les convaincre de « se jeter à l’eau » souvent pour la première fois. Malgré mon carnet maintenant bien fourni de modèles ce ne fut pas toujours facile de trouver une candidate vers le 10 juin (eau 15°) ou le 15 août (portable tout au fond du sac de plage). Mais les sirènes se méritent. A force de persévérance et de chance et de persuasion (oui, je sais : « on ne prête qu’au riches ») j’ai enchaîné les prises de vues. L’idée était de dépasser les clichés convenus mais de commencer quand même par une annonce amicale à la Elie Sémoun « si tu connais dans tes amies une blonde, pulpeuse, au cheveux long, etc … »
J’ai donc commencé avec une discrète et svelte brune (cherchez l’erreur de casting), championne de natation synchronisée, ce qui je l’avoue, peut aider. Et puis, après tout, je voulais renouveler l’image des sirènes. Je ne fus pas déçu. Chemin faisant, elle se découvrit à l’aise dans une peau de sirène. Avec Claire nous fîmes trois séances consécutives.
A sa suite d’autres complices donnèrent beaucoup de leur temps, de leur patience et de leur chaleur. De leur enthousiasme aussi. Même frissonnantes elles m’encourageaient : « Si tu as des idées, on continue… ».
Cela tenait presque toujours de l’expédition furtive. J’adore ça. Monter une séance en quelques coups de fils, sur une intuition, une éclaircie. Comme une accélération dans le temps, un espace où l’on se dépasse. C’était l’Aventure d’une écriture.
Avec ses incertitudes aussi. J’ai cru, en perdre une dans une vague soudaine, finir ensemble en piteux état sur les éboulis, ou être dérangé par 400 raiders-nature dans des coins paumés…
Mais la pêche fut bonne. Le charme agit. Des rêves éveillés s’offrent à nous sans naufrage.
Vous pourrez les voir et vous laisser troubler sans risque : le son est coupé.
Philippe Erard